Le traitement de la mort en Afrique et en Asie

J’ai été jeudi dernier 20 octobre 2011 à l’auditorium du Musée du Quai Branly voir une conférence de Tobie Nathan, ethnopsychiatre, ethnopsychanalyste et écrivain, et Grégory Delaplace, anthropologue spécialiste de la Mongolie.

J’ai trouvé le sujet particulièrement intéressant et il me paraît intéressant d’en reprendre quelques éléments.

Tobie Nathan a commencé par donner quelques éléments communs sur le traitement des morts, en expliquant qu’en Afrique, quand on pose la question : « de quoi est-il mort ? » la personne qui répond sait parler de la mort, tandis qu’en Europe, on ne sait rien dire, à part des choses comme : « il est mort d’une rupture d’anévrisme ». En Afrique, il y a des radios qui invitent les gens à des rituels funéraires, où tout le monde va encore aujourd’hui.

Il reprend ensuite une anecdote que j’ai l’impression d’avoir déjà lue dans un de ses livres, peut-être « L’influence qui guérit » (livre très intéressant, que je recommande d’ailleurs). Il s’agit d’une consultation de Nathan où se trouve une famille africaine, une maman togolaise, et son fils en ménage avec un ivoirien, plus un bébé, une assistance sociale et une éducatrice. La maman reproche à l’ivoirien de ne pas donner d’argent pour la famille, et le brouhaha s’élève dans la salle. Tout le monde parle en même temps. Nathan postule que ce brouhaha est en fait la manifestation de la « parole des morts ». Il prend alors un verre, le remplit de rhum, et le jette par terre en disant : « Un mort est ici, c’est pour ça que vous vous disputez ». La femme aquiesce alors et dit qu’effectivement son mari a été assassiné au Togo. Or le rituel de veuvage est très violent au Togo : lorsqu’un homme meurt, la femme de celui-ci doit démontrer que ce n’est pas elle la coupable. Pour cela, elle subit des humiliations, avec une mise à l’écart de la société. Cette femme a fait deux jours, puis, comme c’était trop insupportable, elle est partie, nous dit Nathan. Donc, elle est partie sans que son mari défunt soit « apaisé », et c’est ce qui explique que celui-ci « revient » dans la consultation. Le problème est donc que cette mort n’a pas été « traitée ». On est ici face à un terme très intéressant : « traiter le mort ». Qu’est-ce que cela signifie ?

Nathan nous donne deux principes :
Le premier, il est rare qu’en Afrique on meure de vieillesse : on meurt « parce qu’on a été tué », c’est-à-dire que dans la pensée collective, si une personne meurt c’est que quelqu’un l’a tuée !! Il ne s’agit pas ici d’être tué de façon réelle, avec une arme ou un couteau, mais on peut être tué par la sorcellerie. Il s’agit donc, nous dit Nathan, de trouver « QUI a tué ? ».

Nouvelle anecdote pour expliquer cette notion : Nathan évoque un enterrement au Congo, ce qui n’est pas systématique, mais fréquent et traditionnel.

 

 

Benda Bilili !

J’ai été ce soir (20 octobre 2011) à une projection du film Benda Bilili ! au Studio des Ursulines, un film documentaire réalisé par Renaud Barret et Florent de la Tullaye. Cette projection était organisée dans le cadre des rencontres Cinéma et Psychanalyse organisées par le psychanalyste P. Sullivan et était suivie d’un débat avec le réalisateur Florent de la Tullaye.

Ce film nous a permis d’aborder, lors du débat qui a suivi, une question qui semble être une coutume de ces séances : le rapport du réalisateur à l’inconscient au moment où il a décidé, puis a réalisé le film. Qu’est-ce qui, en effet, nous pousse à faire tel film et pas tel autre ? Qu’est-ce qui nous pousse à traiter le sujet et à présenter le film sous tel angle et pas tel autre ?

Au départ, les réalisateurs sont venus au Congo Kinshasa pour trouver des musiciens dans le but d’enregistrer, semble t-il, de la musique locale. Ils arrivent donc là-bas, et un soir, en sortant d’un bar, ils entendent une mélopée, ou plutôt une musique aux accents bluesy. Intrigués, ils se dirigent vers le petit groupe de danseurs et découvrent un homme – handicapé – créant un rythme avec une vieille guitare munie d’une seule et unique corde restante. Le rythme les prend, et cela les intéresse d’autant que la chose est peu commune, que de voir des handicapés (malade de la poliomyélite) jouant de la musique, et avec un certain sens du groove. Le groupe, nous dit le réalisateur, les accueille avec simplicité, ce qui les surprend, et ils restent une bonne partie de la nuit avec ces musiciens..  C’est ainsi que commence l’aventure du Staff Benda Bilili !, qui va durer plus de cinq ans, et quelque part, dure encore…

Cela part donc d’une rencontre, et d’un accueil : accueillir l’étranger, et qui plus est de couleur blanche. Mais là-bas, tout le monde rêve de l’Europe… Par ailleurs, les handicapés, nous dira à un moment le réalisateur, font souvent un gros effort pour se rapprocher des personnes « normales », tandis que de l’autre côté l’effort est plus dilué.

La success story du « Staff », comme est appelé le groupe par ceux qui en font partie, me fait penser au film « Chance it » de Mohammed Kounda, qui retrace l’aventure d’un jeune noir de l’état du Mississipi, très doué lui aussi, extraordinaire même, et qui fait montre d’une certaine capacité à faire face à l’adversité. Avec sa mère, qui le motive et le coache, le jeune « Chance » (prononcer Tchènts) va travailler dur, gagnant ses premiers billets dans la rue en faisant des imitations, jusqu’à pouvoir se payer une école de Jazz… et des cours de claquettes. Destinée incroyable que Mohammed Kounda, réalisateur remarquable, a pu suivre pendant de longs mois. Ce film, lorsque je l’ai vu, m’a fait penser à la résilience, parce que cette mère et son fils vivent dans des conditions difficiles, mais le gamin, qui a quelque chose du génie, va s’en servir pour les faire sortir de la galère, même si la vie de musicien, même doué, ne soit pas rose tous les jours. Dans Benda Bilili ! , la résilience me paraît encore plus forte, parce que les conditions de vie des musiciens handicapés du Staff sont particulièrement difficiles, et que combattre la polyomyélite en même temps que la rue et la pauvreté sont des défis de chaque jour. Comment ne pas garder espoir en la vie après ces histoires de vie si dures mais en même temps si extraordinaires ?

Le réalisateur nous évoque son prochain projet de film, sur les pygmées de la seconde plus grande forêt du monde après l’Amazonie, et leur rapport avec les grands noirs, les bantous, qui font tout pour éviter l’éducation de ce peuple pygmée, afin de ne pas se laisser dépasser par la suite et de perdre leur dominance, car les pygmées sont nombreux, plus nombreux que les bantous. Les grands noirs ont ainsi comme esclaves les petits noirs… N’est-ce pas là quelque part une façon de répéter le traumatisme de l’esclavage d’une autre façon ? Tenter de savoir quel était le rapport entre pygmées et bantous avant le colonialisme et l’esclavage pourrait être une question intéressante à se poser.

[Article à suivre  …]

Rédaction : Tanguy Bodin-Hullin,  20 octobre 2011