Pour ou contre le néologisme d’egophobie ?

Que signifie egophobie ? Lorsqu’on fait quelques recherches, le terme egophobie apparaît comme étant un néologisme répandu sur le net qui indiquerait ce qu’on qualifierait en psychopathologie clinique de trouble de l’estime de soi, ce qui peut être entendu comme de l’auto-dépréciation ou de la dévalorisation de soi.

Sur le Urban Dictionary, on trouve pour le terme d’egophobia :

A person who has such a low opinion of him/her self that he/she is afraid to express ideas, opinions, or even to talk to others for fear of making a fool of him/herself.

Autrement dit : une personne qui a une si mauvaise opinion de lui ou d’elle-même qu’il ou elle a peur d’exprimer des idées, des opinions, ou même de parler aux autres de peur de se ridiculiser. Il me semble que cette définition-là s’approche de deux notions, d’une part la notion de narcissisme faible, mais aussi de ce qu’on peut appeler une phobie sociale, c’est-à-dire une peur des autres, qui est effectivement liée à soi-même, mais qui se situe surtout lors de la relation de l’ego à l’alter ego.

  • Première remarque étymologique : l’utilisation du terme phobie qui vient du grec indique la crainte ou la peur de quelque chose. Avoir peur de quelque chose d’extérieur à soi est classique et entendu. En revanche, avoir peur de soi-même, c’est plus difficile à définir. Je pense personnellement que dire qu’on a peur de soi, c’est plutôt dire qu’on craint son propre comportement, ou en tout cas son propre potentiel comportemental, et non véritablement craindre ce qu’on EST soi-même (ce qui serait un enfer terrible). Par exemple ressentir la peur d’avoir un comportement potentiellement auto-agressif (peur d’en venir à se suicider) ou hétéro-agressif (peur d’attaquer/agresser les autres sous une forme ou sous un autre).

Ainsi, on voit que le terme d’egophobie, selon ce qu’on trouve sur le web, peut effectivement toucher à des notions psychologiques qui sont reliées certes, mais qui n’en restent pas moins fort différentes. Une estime de soi faible est différente d’une « peur de soi-même ».

  • Seconde remarque étymologique : l’ego est une notion assez complexe et qui a été largement discutée en psychologie et en psychanalyse, sans me semble t-il qu’un consensus soit trouvé. C’est donc un concept qui restera incertain, qui a toujours besoin d’être qualifié, et qui n’ajoute pas spécialement de clarté au néologisme egophobie.

Conclusion :

Bien qu’intéressante à débattre au plan psychanalytique et métapsychologique, le terme n’en recèle pas moins un véritable manque de clarté, c’est pourquoi, après réflexion, je me prononce contre son acception, qui a d’ailleurs été refusée par un certain nombre de personnes éditrices sur Wikipédia.

Auteur : Tanguy Bodin-Hullin

Première version de l’article : 2 juin 2013

Le traitement de la mort en Afrique et en Asie

J’ai été jeudi dernier 20 octobre 2011 à l’auditorium du Musée du Quai Branly voir une conférence de Tobie Nathan, ethnopsychiatre, ethnopsychanalyste et écrivain, et Grégory Delaplace, anthropologue spécialiste de la Mongolie.

J’ai trouvé le sujet particulièrement intéressant et il me paraît intéressant d’en reprendre quelques éléments.

Tobie Nathan a commencé par donner quelques éléments communs sur le traitement des morts, en expliquant qu’en Afrique, quand on pose la question : « de quoi est-il mort ? » la personne qui répond sait parler de la mort, tandis qu’en Europe, on ne sait rien dire, à part des choses comme : « il est mort d’une rupture d’anévrisme ». En Afrique, il y a des radios qui invitent les gens à des rituels funéraires, où tout le monde va encore aujourd’hui.

Il reprend ensuite une anecdote que j’ai l’impression d’avoir déjà lue dans un de ses livres, peut-être « L’influence qui guérit » (livre très intéressant, que je recommande d’ailleurs). Il s’agit d’une consultation de Nathan où se trouve une famille africaine, une maman togolaise, et son fils en ménage avec un ivoirien, plus un bébé, une assistance sociale et une éducatrice. La maman reproche à l’ivoirien de ne pas donner d’argent pour la famille, et le brouhaha s’élève dans la salle. Tout le monde parle en même temps. Nathan postule que ce brouhaha est en fait la manifestation de la « parole des morts ». Il prend alors un verre, le remplit de rhum, et le jette par terre en disant : « Un mort est ici, c’est pour ça que vous vous disputez ». La femme aquiesce alors et dit qu’effectivement son mari a été assassiné au Togo. Or le rituel de veuvage est très violent au Togo : lorsqu’un homme meurt, la femme de celui-ci doit démontrer que ce n’est pas elle la coupable. Pour cela, elle subit des humiliations, avec une mise à l’écart de la société. Cette femme a fait deux jours, puis, comme c’était trop insupportable, elle est partie, nous dit Nathan. Donc, elle est partie sans que son mari défunt soit « apaisé », et c’est ce qui explique que celui-ci « revient » dans la consultation. Le problème est donc que cette mort n’a pas été « traitée ». On est ici face à un terme très intéressant : « traiter le mort ». Qu’est-ce que cela signifie ?

Nathan nous donne deux principes :
Le premier, il est rare qu’en Afrique on meure de vieillesse : on meurt « parce qu’on a été tué », c’est-à-dire que dans la pensée collective, si une personne meurt c’est que quelqu’un l’a tuée !! Il ne s’agit pas ici d’être tué de façon réelle, avec une arme ou un couteau, mais on peut être tué par la sorcellerie. Il s’agit donc, nous dit Nathan, de trouver « QUI a tué ? ».

Nouvelle anecdote pour expliquer cette notion : Nathan évoque un enterrement au Congo, ce qui n’est pas systématique, mais fréquent et traditionnel.